COMMEMORATION 2020 SEYSSINS ET GRENOBLE
CASOMI
Discours commémoration 10 mai 2020
Monsieur le Maire,
Mesdames, Messieurs les officiels,
Mesdames, Messieurs les responsables d’associations du Patrimoine et de la Mémoire,
Mesdames, Messieurs des associations de toutes sensibilités,
Mesdames et Messieurs,
Jean-Marc Ayrault, Président de la Fondation de la Mémoire de l’Esclavage et Christiane TAUBIRA présidente du comité de soutien de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage ont certainement pesés de toute leur influence pour que cette journée du 10 mai 2020 soit tenue, en respectant les règles de confinement.
172 ans après 1848, nous devons toujours nous poser la question, qu’est-ce qui a changé ?
Notre présence ici aujourd’hui se réfère à La loi du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité dite loi Taubira.
Cette « journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition » de 2020 doit nous rappeler à l’ordre.
Qu’est-ce qui nous échappe, au point de constater que beaucoup reste à faire. En 2019, l’organisation internationale du travail (OIT) faisait savoir que l’esclavage contemporain touchait plus de 40 millions de personnes à travers le monde.
Cette journée commémorative de l’abolition de l’esclavage pour laquelle nous sommes ici doit nous permettre de penser un instant et comprendre les conséquences de l’esclavage et les dégâts toujours présents.
A l’intérieur des familles antillaise il existait un racisme sourd entre enfant de peau claire et ceux un peu plus foncé jusqu’à il n’y a pas si longtemps. Ils existaient des punitions d’un autre âge, particulièrement violentes à l’intérieur de familles antillaises et qui prennent leurs sources dans des méthodes des maitres esclavagistes.
Des méthodes d’éducations reprises par les descendants de ces esclaves après l’Abolition de l’esclavage dans les Antilles par exemple : où des parents pratiquaient des méthodes dites de dressage sur leur propre enfant, il n’y a pas si longtemps. Nous savons combien les méthodes appliquées dans la vie des esclaves pour les éduquer ont laisser des traces indélébiles.
On constate encore aujourd’hui dans le comportement, dans le fonctionnement des descendants-tes d’esclaves une santé mentale en résistance. Cette santé mentale en résistance bloque la capacité de toute une population à s’affranchir totalement des contingences du passé esclavagiste et de celles d’aujourd’hui.
Cette ignominie qui gangrène toutes les sociétés, particulièrement dans des régions où le commerce de l’esclavage a été érigé en un bien incontournable, organisé, accepté par des autorités religieuses, étatiques, des entreprises privées…
Les institutions et les organisations qui luttent contre l’esclavage doivent continuer leurs missions à tous les niveaux pour combattre le phénomène de l’esclavage à travers le monde avec la plus grande détermination.
Nous qui agissons au quotidien pour rendre la vie des enfants, des femmes et des hommes dignes. On devrait se poser la question…
Depuis l’Afrique jusque dans les colonies, les enfants, les femmes et les hommes capturés ont toujours lutté, se sont toujours battus, se sont organisés pour refuser cette terrible condition de privation de liberté.
Dans les territoires d’Outre-mer, nous faisons face à une réalité qui demande REPARATION.
Les esclaves ne furent pas indemnisés, les maîtres le furent, pour la perte de leurs esclaves, de leurs biens puisque l’esclave était considéré comme un bien meuble. Les esclaves certes, seront affranchis, mais resteront encore des années durant colonisés.
Nous qui sommes conscients, chacun à son niveau, par des travaux d’intellectuels-les, des travaux de terrain de proximité. Nous devons renforcer les moyens d’actions pour obliger les Etats à prendre des décisions afin de faire évoluer les lois pour extraire ces enfants, ces femmes et ces hommes de ces situations ignobles.
La loi Taubira demande à être renforcée, d’aller plus loin pour permettre qu’il y ait REPARATION.
Cette REPARATION demande à être étudiée dans sa forme et son contour et à s’inscrire dans la loi.
Arrêtons-nous un instant sur des artisans antillais de la cause abolitionniste, que nous ne devons pas oublier :
La mulâtresse Solitude, née vers 1780, est l’une des figures historiques des rébellions de 1802, enceinte de quelques mois, La Mulâtresse Solitude rejoint Louis Delgrès dans ce combat contre le rétablissement de l’esclavage en 1802 ; elle est condamnée à mort et suppliciée le 29 novembre de la même année, le lendemain de son accouchement.
Figure féminine des insurgés de 1802 en Guadeloupe, la Mulâtresse Solitude incarne les femmes et les mères des Caraïbes qui se sont battues en faveur de la défense des idées de liberté et d’égalité dans le contexte du système esclavagiste.
Et bien d’autres nègres marron connus et moins connus de l’histoire qui ont contribué à cette abolition.
Louis Delgrès né à Saint-Pierre en Martinique, une personnalité de l’histoire de la Guadeloupe. Colonel d’infanterie des forces armées à la Guadeloupe, abolitionniste, il est connu pour la proclamation anti-esclavagiste signée de son nom, datée du 10 mai 1802, haut fait de la résistance de la Guadeloupe aux troupes napoléoniennes.
Cyrille Charles Auguste Bissette est un homme politique martiniquais, qui mériterait d’être plus connu et reconnu car il a été lui aussi un élément déterminant de la lutte pour cette abolition bien avant le vote de la loi du 27 avril 1848 portée et défendue par Victor Schœlcher à l’Assemblée Constituante.
Cyrille Bissette, pour avoir été soupçonné d’avoir écrit une revue qui remettait en cause l’esclavage, sera marqué au fer rouge et condamné à dix ans de bannissement des colonies françaises. Il fonde une « Société des hommes de couleur » et, en 1834, la Revue des colonies, dont il devient le directeur. Il avait rédigé une proposition de loi qui tenait en plusieurs articles.
L’histoire de l’esclavage dans les territoires des Outre-mer est l’histoire de France. Elle doit trouver toute sa place dans les programmes de l’école publique, elle doit aussi trouver sa place dans l’enseignement populaire, les créations culturelles (films, pièces de théâtre, documentaires, etc.)
Je suis de cette génération en France, en terre Française qui a appris son histoire à travers celles des Amérique dans les livres de grands abolitionnistes.
C’est en lisant l’histoire de l’esclavage américain à travers l’histoire de Frédéric Douglas que j’ai appris mon histoire, celle de la Martinique, un pan de l’histoire de France qui m’a paru limpide car pour moi il n’y avait pas de différence. J’avais suffisamment de signes autour de moi pour comprendre.
Pour finir,
Je voudrais citer Frédéric Douglas :
« Là où il n’y a pas de lutte, il n’y a pas de progrès. Ceux qui professent vouloir la liberté mais refusent l’activisme sont des gens qui veulent la récolte sans le labour de la terre, la pluie sans le tonnerre et les éclairs : ils voudraient l’océan, mais sans le terrible grondement de toutes ses eaux ».
Philippe-Claude EBROIN
Président du CASOMI
****************************************************************
Le mot du sociologue Pierre Pastel en ce 10 mai 2020
L’esclavage des personnes noires :
Quatre mille huit cent mois de confinement forcé,
Quatre mille huit cent mois de privation de la liberté
Quatre cents ans d’incarcération de la dignité humaine.
Chers vous, ancêtres, qui avez été dépouillés de votre dignité d’humains et qui nous regardez avec bienveillance. RESPECT A VOUS !
Chers vous tous, contemporains de notre planète, présents, ici, avec nous par la puissance de la pensée pour cette commémoration et cet hommage,
Mesdames, Messieurs,
Aujourd’hui nous célébrons la LIBERTE et le dé-confinement des consciences.
Il est important de se dire, que si le contexte est problématique, nous savons et nous saurons tout de même trouver les moyens de partager ce moment commémoratif avec toute la nation, parce que ce geste de mémoire fondamental est un acte de reconstruction de la civilisation.
C’est une occasion de rêver d’un rapport nouveau entre les humains comme, vous, ancêtres combattants pour la liberté et le respect entre les humains, l’avez souhaitez.
Vous l’avez compris, chers ancêtres ; nous avons bien saisi l’enjeu : nous ne nous posons pas la question de savoir s’il faut maintenir ces temps de commémoration et d’hommage, mais bien comment adapter nos expressions commémoratives au contexte du moment.
En clair, il s’agit de trouver les bons gestes, les bons actes qui maintiennent toutes les valeurs à la fois symboliques, pratiques et éducationnelles de ces gestes commémoratifs, ceci, pour plusieurs raisons majeures :
Vous constatez avec nous, vaillants ancêtres, que des millions de personnes en France et dans le monde vivent cette situation de confinement comme une oppression, comme une suffocation individuelle et collective.
Bienveillants à notre égard, vous insistez pour nous dire que ce temps de commémoration et d’hommage est une occasion exceptionnelle pour les millions d’entre nous qui sont pressés de sortir de ces deux mois de confinement à cause d’un vilain virus, de percevoir, de comprendre combien vous, chers ancêtres, avez souffert du confinement de votre liberté pendant 4800 mois pendant lesquels :
Vous avez été
-bafoués dans votre dignité,
-déportés par dizaines de millions,
-mis en esclavage, vendus,flagellés,
– assassinés, violés,
-privés de vos noms, de vos langues
-arrachés définitivement à vos papas, à vos mamans, à vos enfants, à vos conjoints, à vos conjointes
Vous avez eu les jambes, les bras coupés…
La liste est trop longue.
C’est aussi l’occasion pour vous, chers ancêtres, de nous dire, Attention ! Aujourd’hui, les raisons qui ont amené la traite négrière et l’esclavage, de personnes noires s’expriment encore par :
-la réalité du pillage économique en Afrique…
-le déséquilibre économique provoqué par la déstabilisation permanente du continent africain qui organise l’assassinat de ces nations, l’euthanasie à petit feu des peuples et des cultures.
-Vous nous dîtes encore que le conditionnement des consciences des sociétés esclavagistes d’hier et des nouveaux pilleurs d’aujourd’hui fait toujours son œuvre avec ses productions de populations colonisées, de personnes racisées, discriminées ayant des difficultés pour accéder à l’expression naturelle de leurs Droits Humains pleins et entiers.
Vous nous faites remarquer que de nombreux dirigeants sur cette planète et une part importante de leurs peuples éduqués dans ce sens, considèrent de manière consciente ou subliminale, que cet état des choses serait un mal nécessaire et acceptable pour le maintien d’une certaine idée de l’économie mondiale.
Votre optimisme, chers ancêtres, nous déstabilise et nous sommes des millions à être revigorés.
Comme ce fut le cas pour vous, vous nous montrez du doigt la multitude d’initiatives, d’engagements, d’inventions qui, aujourd’hui fleurissent, partout en France, en Outre-Mer, et sur toute la planète pour raviver l’instinct de vie.
L’Homme se réinvente à tous les niveaux.
Chers Ancêtres, nous retenons vos dernières recommandations comme des saphirs :
« L’Homme n’a pas fini de penser. Il n’a pas fini de réinventer les moyens de faire respecter « le respect de l’Homme pour tout Homme ». Il a le devoir de dompter sa pensée pour honorer l’Homme au-delà l’homme. Cependant, rien ne sert de courir. Il faut toucher et amener son cœur jusqu’au sommet…de l’intelligence… du cœur. »
Pierre Pastel
Sociologue/Psychothérapeute
***********************************************************************************************
https://www.senat.fr/rap/r13-098/r13-098_mono.html
Un texte qui a marqué l’histoire de la pensée
Aimé Césaire :
“Discours sur le colonialisme” (1950)
Contenu
Aimé Césaire, poète et homme politique, a été maire de Fort de France (1945-2001), et député de la Martinique (1945-1993) ; il a obtenu la départementalisation de la Martinique en 1946. Né en 1913 à la Martinique, il est mort le 17 avril 2008 à Fort-de-France. En dehors de ses œuvres d’écrivain, dont Cahier d’un retour au pays natal (1939), La tragédie du roi Christophe (1963), il a écrit en 1950 son important Discours sur le colonialisme. Nous en publions ci-dessous le début, précédé d’une lecture publique par Antoine Vitez en 1989 à Avignon.
Aimé Césaire : “Discours sur le colonialisme”
Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente.
Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte.
Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde.
Le fait est que la civilisation dite « européenne », la civilisation « occidentale », telle que l’ont façonnée deux siècles de régime bourgeois, est incapable de résoudre les deux problèmes majeurs auxquels son existence a donné naissance : le problème du prolétariat et le problème colonial ; que, déférée à la barre de la « raison » comme à la barre de la « conscience », cette Europe-là est impuissante à se justifier ; et que, de plus en plus, elle se réfugie dans une hypocrisie d’autant plus odieuse qu’elle a de moins en moins chance de tromper.
L’Europe est indéfendable.
Il parait que c’est la constatation que se confient tout bas les stratèges américains.
En soi cela n’est pas grave.
Le grave est que « l’Europe » est moralement, spirituellement indéfendable.
Et aujourd’hui il se trouve que ce ne sont pas seulement les masses européennes qui incriminent, mais que l’acte d’accusation est proféré sur le plan mondial par des dizaines et des dizaines de millions d’hommes qui, du fond de l’esclavage, s’érigent en juges.
On peut tuer en Indochine, torturer à Madagascar, emprisonner en Afrique Noire, sévir aux Antilles. Les colonisés savent désormais qu’ils ont sur les colonialistes un avantage. Ils savent que leurs « maîtres »s provisoires mentent.
Donc que leurs maîtres sont faibles.
Et puisque aujourd’hui il m’est demandé de parler de la colonisation et de la civilisation, allons droit au mensonge principal à partir duquel prolifèrent tous les autres.
Colonisation et civilisation ?
La malédiction la plus commune en cette matière est d’être la dupe de bonne foi d’une hypocrisie collective, habile à mal poser les problèmes pour mieux légitimer les odieuses solutions qu’on leur apporte.
Cela revient à dire que l’essentiel est ici de voir clair, de penser clair, entendre dangereusement, de répondre clair à l’innocente question initiale : qu’est-ce en son principe que la colonisation ? De convenir de ce qu’elle n’est point ; ni évangélisation, ni entreprise philanthropique, ni volonté de reculer les frontières de l’ignorance, de la maladie, de la tyrannie, ni élargissement de Dieu, ni extension du Droit ; d’admettre une fois pour doutes, sans volonté de broncher aux conséquences, que le geste décisif est ici de l’aventurier et du pirate, de l’épicier en grand et de l’armateur, du chercheur d’or et du marchand, de l’appétit et de la force, avec, derrière, l’ombre portée, maléfique, d’une forme de civilisation qui, à un moment de son histoire, se constate obligée, de façon interne, d’étendre à l’échelle mondiale la concurrence de ses économies antagonistes.
Poursuivant mon analyse, je trouve que l’hypocrisie est de date récente ; que ni Cortez découvrant Mexico du haut du grand téocalli, ni Pizarre devant Cuzco (encore moins Marco Polo devant Cambaluc), ne protestent d’être les fourriers d’un ordre supérieur ; qu’ils tuent ; pillent ; qu’ils ont des casques, des lances, des cupidités ; que les haveurs sont venus plus tard ; que le grand responsable dans ce domaine est le pédantisme chrétien, pour avoir posé les équations malhonnêtes : christianisme = civilisation ; paganisme = sauvagerie, d’où ne pouvaient que s’ensuivre d’abominables conséquences colonialistes et racistes, dont les victimes devaient être les Indiens, les Jaunes, les Nègres.
Cela réglé, j’admets que mettre les civilisations différentes en contact les unes avec les autres est bien ; que marier des mondes différents est excellent ; qu’une civilisation, quel que soit son génie intime, à se replier sur elle-même, s’étiole ; que l’échange est ici l’oxygène, et que la grande chance de l’Europe est d’avoir été un carrefour, et que, d’avoir été le lieu géométrique de toutes les idées, le réceptacle de toutes les philosophies, le lieu d’accueil de tous les sentiments en a fait le meilleur redistributeur d’énergie.
Mais alors, je pose la question suivante : la colonisation a-t-elle vraiment mis en contact ? ou, si l’on préfère, de toutes les manières d’établir le contact, était-elle la meilleure ?
Je réponds non.
Et je dis que de la colonisation à la civilisation, la distance est infinie ; que, de toutes les expéditions coloniales accumulées, de tous les statuts coloniaux élaborés, de toutes les circulaires ministérielles expédiées, on ne saurait réussir une seule valeur humaine.
________________________
« Il faudrait d’abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer que, chaque fois qu’il y a au Viet-Nam une tête coupée et un œil crevé et qu’en France on accepte, une fillette violée et qu’en France on accepte, un Malgache supplicié et qu’en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s’opère, une gangrène qui s’installe, un foyer d’infection qui s’étend et qu’au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées. de tous ces prisonniers ficelés et interrogés, de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent.
Et alors, un beau jour, la bourgeoisie est réveillée par un formidable choc en retour : les gestapos s’affairent, les prisons s’emplissent, les tortionnaires inventent, raffinent, discutent autour des chevalets.
On s’étonne, on s’indigne. On dit : « Comme c’est curieux ! Mais, bah ! C’est le nazisme, ça passera ! » Et on attend, et on espère ; et on se tait à soi-même la vérité, que c’est une barbarie, mais la barbarie suprême, celle qui couronne, celle qui résume la quotidienneté des barbaries ; que c’est du nazisme, oui, mais qu’avant d’en être la victime, on en a été le complice ; que ce nazisme-là, on l’a supporté avant de le subir, on l’a absous, on a fermé l’œil là-dessus, on l’a légitimé, parce que, jusque-là, il ne s’était appliqué qu’à des peuples non européens ; que ce nazisme-là, on l’a cultivé, on en est responsable, et qu’il sourd, qu’il perce, qu’il goutte, avant de l’engloutir dans ses eaux rougies, de toutes les fissures de la civilisation occidentale et chrétienne.
Oui, il vaudrait la peine d’étudier, cliniquement, dans le détail, les démarches d’Hitler et de l’hitlérisme et de révéler au très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXe siècle qu’il porte en lui un Hitler qui s’ignore, qu’Hitler l’habite, qu’Hitler est son démon, que s’il le vitupère, c’est par manque de logique, et qu’au fond, ce qu’il ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, le crime contre l’homme, ce n’est pas l’humiliation de l’homme en soi, c’est le crime contre l’homme blanc, c’est l’humiliation de l’homme blanc, et d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique.
Et c’est là le grand reproche que j’adresse au pseudo-humanisme : d’avoir trop longtemps rapetissé les droits de l’homme, d’en avoir eu, d’en avoir encore une conception étroite et parcellaire, partielle et partiale et, tout compte fait, sordidement raciste.
J’ai beaucoup parlé d’Hitler. C’est qu’il le mérite : il permet de voir gros et de saisir que la société capitaliste, à son stade actuel, est incapable de fonder un droit des gens, comme elle s’avère impuissante à fonder une morale individuelle. Qu’on le veuille ou non : au bout du cul-de-sac Europe, je veux dire l’Europe d’Adenauer, de Schuman, Bidault et quelques autres, il y a Hitler. Au bout du capitalisme, désireux de se survivre, il y a Hitler. Au bout de l’humanisme formel et du renoncement philosophique, il y a Hitler.
Et, dès lors, une de ses phrases s’impose à moi :
« Nous aspirons, non pas à l’égalité, mais à la domination. Le pays de race étrangère devra redevenir un pays de serfs, de journaliers agricoles ou de travailleurs industriels. Il ne s’agit pas de supprimer les inégalités parmi les hommes, mais de les amplifier et d’en faire une loi. »
Cela sonne net, hautain, brutal, et nous installe en pleine sauvagerie hurlante. Mais descendons d’un degré.
Qui parle ? J’ai honte à le dire : c’est l’humaniste occidental, le philosophe « idéaliste ». Qu’il s’appelle Renan, c’est un hasard. Que ce soit tiré d’un livre intitulé : La Réforme intellectuelle et morale, qu’il ait été écrit en France, au lendemain d’une guerre que la France avait voulu du droit contre la force, cela en dit long sur les mœurs bourgeoises.
« La régénération des races inférieures ou abâtardies par les races supérieures est dans l’ordre providentiel de l’humanité. L’homme du peuple est presque toujours, chez nous, un noble déclassé, sa lourde main est bien mieux faite pour manier l’épée que l’outil servile. Plutôt que de travailler, il choisit de se battre, c’est-à-dire qu’il revient à son premier état. Regere imperio populos, voilà notre vocation. Versez cette dévorante activité sur des pays qui, comme la Chine, appellent la conquête étrangère. Des aventuriers qui troublent la société européenne, faites un ver sacrum, un essaim comme ceux des Francs, des Lombards, des Normands, chacun sera dans son rôle. La nature a fait une race d’ouvriers, c’est la race chinoise, d’une dextérité de main merveilleuse sans presque aucun sentiment d’honneur ; gouvernez-la avec justice, en prélevant d’elle, pour le bienfait d’un tel gouvernement, un ample douaire au profit de la race conquérante, elle sera satisfaite ; une race de travailleurs de la terre, c’est le nègre ; soyez pour lui bon et humain, et tout sera dans l’ordre ; une race de maîtres et de soldats, c’est la race européenne. Réduisez cette noble race à travailler dans l’ergastule comme des nègres et des Chinois, elle se révolte. Tout révolté est, chez nous, plus ou moins, un soldat qui a manqué sa vocation, un être fait pour la vie héroïque, et que vous appliquez à une besogne contraire à sa race, mauvais ouvrier, trop bon soldat. Or, la vie qui révolte nos travailleurs rendrait heureux un Chinois, un fellah, êtres qui ne sont nullement militaires. Que chacun fasse ce pour quoi il est fait, et tout ira bien. »
Hitler ? Rosenberg ? Non, Renan.
Mais descendons encore d’un degré. Et c’est le politicien verbeux. Qui proteste ? Personne, que je sache, lorsque M. Albert Sarraut, tenant discours aux élèves de l’Ecole coloniale, leur enseigne qu’il serait puéril d’opposer aux entreprises européennes de colonisation « un prétendu droit d’occupation et je ne sais quel autre droit de farouche isolement qui pérenniseraient en des mains incapables la vaine possession de richesses sans emploi ».
Et qui s’indigne d’entendre un certain R.P. Barde assurer que les biens de ce monde, « s’ils restaient indéfiniment répartis, comme ils le seraient sans la colonisation, ne répondraient ni aux desseins de Dieu, ni aux justes exigences de la collectivité humaine » ?
Attendu, comme l’affirme son confrère en christianisme, le R.P. Muller : « que l’humanité ne doit pas, ne peut pas souffrir que l’incapacité, l’incurie, la paresse des peuples sauvages laissent indéfiniment sans emploi les richesses que Dieu leur a confiées avec mission de les faire servir au bien de tous ».
Personne.
Je veux dire pas un écrivain patenté, pas un académicien, pas un prédicateur, pas un politicien, pas un croisé du droit et de la religion, pas un « défenseur de la personne humaine ».
Et pourtant, par la bouche des Sarraut et des Barde, des Muller et des Renan, par la bouche de tous ceux qui jugeaient et jugent licite d’appliquer aux peuples extra-européens, et au bénéfice de nations plus fortes et mieux équipées, « une sorte d’expropriation pour cause d’utilité publique », c’était déjà Hitler qui parlait !
Où veux-je en venir ? A cette idée : que nul ne colonise innocemment, que nul non plus ne colonise impunément ; qu’une nation qui colonise, qu’une civilisation qui justifie la colonisation – donc la force – est déjà une civilisation malade, une civilisation moralement atteinte, qui, irrésistiblement, de conséquence en conséquence, de reniement en reniement, appelle son Hitler, je veux dire son châtiment.
Colonisation : tête de pont dans une civilisation de la barbarie d’où, à n’importe quel moment, peut déboucher la négation pure et simple de la civilisation.
________________________
J’ai relevé dans l’histoire des expéditions coloniales quelques traits que j’ai cités ailleurs tout à loisir.
Cela n’a pas eu l’heur de plaire à tout le monde. Il paraît que c’est tirer de vieux squelettes du placard. Voire !
Etait-il inutile de citer le colonel de Montagnac, un des conquérants de l’Algérie :
« Pour chasser les idées qui m’assiègent quelquefois, je fais couper des têtes, non pas des têtes d’artichauts, mais bien des têtes d’hommes. »
Convenait-il de refuser la parole au comte d’Herisson :
« Il est vrai que nous rapportons un plein barils d’oreilles récoltées, paire à paire, sur les prisonniers, amis ou ennemis. »
Fallait-il refuser à Saint-Arnaud le droit de faire sa profession de foi barbare :
« On ravage, on brûle, on pille, on détruit les maisons et les arbres. »
Fallait-il empêcher le maréchal Bugeaud de systématiser tout cela dans une théorie audacieuse et de se revendiquer des grands ancêtres :
« Il faut une grande invasion en Afrique qui ressemble à ce que faisaient les Francs, à ce que faisaient les Goths. »
Fallait-il enfin rejeter dans les ténèbres de l’oubli le fait d’armes mémorable du commandant Gérard et se taire sur la prise d’Ambike, une ville qui, à vrai dire, n’avait jamais songé à se défendre :
« Les tirailleurs n’avaient ordre de tuer que les hommes, mais on ne les retint pas ; enivrés de l’odeur du sang, ils n’épargnèrent pas une femme, pas un enfant… A la fin de l’après-midi, sous l’action de la chaleur, un petit brouillard s’éleva : c’était le sang des cinq mille victimes, l’ombre de la ville, qui s’évaporait au soleil couchant. »
Oui ou non, ces faits sont-ils vrais ? Et les voluptés sadiques, les innommables jouissances qui vous friselisent la carcasse de Loti quand il tient au bout de sa lorgnette d’officier un bon massacre d’Annamites ? Vrai ou pas vrai ? [1]
Et si ces faits sont vrais, comme il n’est au pouvoir de personne de le nier, dira-t-on, pour les minimiser, que ces cadavres ne prouvent rien ?
Pour ma part, si j’ai rappelé quelques détails de ces hideuses boucheries, ce n’est point par délectation morose, c’est parce que je pense que ces têtes d’hommes, ces récoltes d’oreilles, ces maisons brûlées. ces invasions gothiques, ce sang qui fume, ces villes qui s’évaporent au tranchant du glaive, on ne s’en débarrassera pas à si bon compte. Ils prouvent que la colonisation, je le répète, déshumanise l’homme même le plus civilisé ; que l’action coloniale, l’entreprise coloniale, la conquête coloniale, fondée sur le mépris de l’homme indigène et justifiée par ce mépris, tend inévitablement à modifier celui qui l’entreprend ; que le colonisateur, qui, pour se donner bonne conscience, s’habitue à voir dans l’autre la bête, s’entraîne à le traiter en bête, tend objectivement à se transformer lui-même en bête. C’est cette action, ce choc en retour de la colonisation qu’il importait de signaler. »
[…] La suite du Discours sur le colonialisme : http://percaritatem.com/wp-content/…
A lire également sur ce site : n’allez pas le répéter, mais le nègre vous emmerde.
[1] Il s’agit du récit de la prise de Thouan-An paru dans le Figaro en septembre 1883 et cité dans le livre de N. Serban : Loti, sa vie, son œuvre. « Alors la grande tuerie avait commencé. On avait fait des feux de salve-deux ! et c’était plaisir de voir ces gerbes de balles, si facilement dirigeables, s’abattre sur eux deux fois par minute, au commandement d’une manière méthodique et sûre… On en voyait d’absolument fous, qui se relevaient pris d’un vertige de courir… Ils faisaient un zigzag et tout de travers cette course de la mort, se retroussant jusqu’aux reins d’une manière comique… et puis on s’amusait à compter les morts, etc. »
°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
La Nuit des Idées – Être vivant·e·s en Caraïbe
=======================================================================================
Pa di zòt pa té sav! = Ne dites pas que vous ne saviez pas!
Avec la réforme des régions mise en place le 1er janvier 2016, les Départements d’Outre-Mer (DOM) et Territoires d’Outre-Mer (TOM) ont disparus. On parle maintenant de Département et Région d’Outre-Mer (DROM) pour les anciens DOM (Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion et Mayotte). On parle des Collectivités d’Outre-Mer (COM) pour Saint-Barthélémy, Saint-Martin, Saint Pierre et Miquelon et la Polynésie française ( Wallis et Futuna n’a pas encore adopté la réforme et reste un Territoire d’outre-mer ).
On distingue également les Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAT) pour les Îles Saint-Paul et Nouvelle-Amsterdam, l’Archipel Crozet, les Îles Kerguelen, la Terre-Adélie et les Îles Éparses de l’océan Indien auxquels il faut rajouter l’Île de Clipperton qui bénéficie du même statut bien qu’étant située dans l’océan pacifique.
La Nouvelle-Calédonie a un statut particulier définis par lois organiques devant lui permettre à terme d’acceder à l’indépendance. Dans un premier vote en novembre 2018, 58% des néo-Calédoniens ont choisi de rester français.